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** A M A N Y E **
6 juillet 2004

Jeu de cons...(1)

Je met l' intégralité de la nouvelle d' Ayerdhal ici, mais en plusieurs parties non seulement parce qu'elle est très bien mais aussi pour vous faire patienter. Demain je ne serais là que le soir (et tout à l'heure je mettrai le restant des photos de la japan expo), puisque je retourne à Samarobrive... Mais assez parlé, place à la nouvelle.

 

"Le soleil est au zénith, sa lumière traverse la canopée en faisceaux rectilignes qui tranchent dans le feuillage pour atteindre la mousse sur une terre sans fermeté. La forêt est une étuve aux odeurs écoeurantes. Elle transpire un million de parfums borgiaques et mille fois plus de morts. Son énergie naît de la putréfaction.

Le matsilm est accroupi au bord du marigot depuis deux heures. Il jongle avec une tige de roseau d' un mètre et la mygale qui s' est laissée piéger sur un nénuphar. Il ne l' agace pas vraiment, il la titille. Chaque fois qu' elle se ramasse pour bondir, il lui déséquilibre plusieurs pattes ou il passe la tige sous son abdomen et il la soulève de quelques centimètres. Il voudrait la contraindre à remonter la tige jusqu' à son bras. Il essaie de l' apprivoiser.

L' araignée progresse doucement. Elle a admis qu' elle ne pourrait ni lui sauter dessus, ni gagner la rive d' un bond. Elle s' aventure de plus en plus fréquemment et de plus en plus loin sur le roseau. Puis elle se ramasse et il fait pivoter la tige, soit d' un demi-tour vers le bas d' un mouvement du poignet, soit d' un tour complet en faisant sauter la baguette dans sa main, quand elle se montre trop belliqueuse. Sous l' impulsion, la mygale fait plusieurs pirouettes en l' air, qu' il infléchit et oriente au gré de sa fantasie de la pointe du roseau, et se retrouve invariablement sur le nénuphar, calmée pour quelques minutes. Je le connais : il ne la laissera pas reprendre le cours de son existence paresseuse tant qu' elle ne lui aura pas mangé dans la main sans intention de le mordre. S' il le faut, il y passear la journée, et la nuit, et une autre journée encore. C' est sa façon de combattre les pulsions d' agressivité. Qu' il s' agisse d' un animal ou d' une créature scientante, il réagit à la violence par la patience et l' enseignement. Il a le temps, il est immortel.

Moi, je suis payé pour le tuer.

 

Il a lâché la tige de roseau. La mygale est sur le dos de sa main, immobile, incrédule. Elle a abandonné l' idée de s' échapper une heure après avoir renoncé à le mordre. Il lui a offert une libellule à moitié morte et il la caresse entre les yeux. Elle serre l' insecte entre ses mandibules, elle hésite. Dans un moment quand elle aura commencé à l' emprisonner dans un cocon de toile pour le transformer en garde-manger, il la libérera.

Au dessus de la canopée, il fera encore jour mais, cent mètres en dessous, la forêt sera déjà plongée dans une pénombre opaque.

Difficile de dire ce qu' il fera ensuite, mais il ne quittera pas le marigot sans m' adresser un signe de connivence. Un geste de la main, en guise de d' au revoir. Il sait que je suis là. Il ignore où exactement. Il perçoit seulement la rumeur de mes émotions, proches, à portée de jumelles. Il m' a repéré à la seconde où je suis entré dans sa sphère de perception. Il y a un an.

C' était facile. Il est matsilm, je suis chasseur de matsilms. Nous sommes faits pour nous connaître. Chaque fois qu' il bouge une oreille, je le sais. Chaque fois que je suis en mesure de l' abattre, il le sent. Il possède son foutu sens d' empathie. Je dispose d' un équipement adapté : code génétique, signature encéphalique, une batterie de détecteurs en tout genres, un relais permanent avec tous les satellites orbitaux, un neuroprocesseur ultra performant et un implant cortical pour le piloter. Il ne peut pas se soustraire à ma surveillance. Je ne peut pas l' approcher. Pas sans me dévoiler.

Il est plus vif que moi, éxagérément. Il est plus fort, plus résistant, plus adaptable. Il est plus "tout", mais il ignore mon identité et c' est mon seul avantage. C' est aussi mon plus gros handicap. Pour le tuer, il faut que j' introduise deux centimètres cubes de bionanes antagonistes des siens dans son organisme et je doit le faire à bout portant car, en vertu de la loi sur la conservation de l' énergie, le temps et la distance sont une seule et même chose, sauf pour l' empathie matsilme. Les centièmes ou les dixièmes de seconde que je lui offrirais en le tirant à dix, cent ou mille mètres lui suffiraient pour se sortir de la trajectoire. Aucun projectile n' est assez rapide pour lui. Ensuite, il pousserait son métabolisme au maximum de ses capacités et il se déplacerait si vite qu' il en deviendrait invisible. Puis il disparaîtrait du monde et nous mettrions des années pour le localiser à nouveau.

Nous, je devrais dire eux, l' un ou l' autre des services furtifs de l' un ou l' autre état membre de la Confédération. Sur ce point ils sont à peu près tous d' accord : il faut éradiquer les matsilms. Il n' existe pas de traité et il n' y a à proprement parler aucun donneur d' ordre, mais, quand un agent repère un matsilm, il en informe sa hiérarchie et celle-ci "mandate" un chasseur, avec la bénédiction de tous les services concurrents ou ennemis. Cette entente tacite et contre toute nature me laisse indifférent --il me suffit de savoir que je peux aller où je veux en bénéficiant du système de tous--, mais je crois qu' aucun politicien ne l' approuverait, ni ne la couvrirait, du moins officiellement. Quand à leurs électeurs.....qui sait ? Les génocides sont rarement populaires, mais les peuples sont généralement indifférents et souvent racistes, sinon xénophobes. Une campagne médiatique s' appuyant sur des sillogismes politiques et orchestrée par des personnages au charisme populiste suffirait probablement à anesthésier l' opinion. Du moins ponctuellement et localement, et à grands frais, alors que les chasseurs ne coûtent pas très chers et qu' ils n' ont aucune existence, m^me officieuse.

De toutes façon, il doit rester moins d' une vingtaine de matsilms et leur cycle de reproduction est tellement long et compliqué que nous en aurons fini avec eux avant qu' une âme bien pensante n' ait le temps de s' alarmer.

 

(a suivre)

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Commentaires
N
On va changer la face du monde...
O
Tu vois pas qu'à nous deux on fasse de canalblog Ze plate-forme littéraire de la blogosphère ? Mwahahahaha !<br /> Remarque, ça changerait agréablement des §$#&@£ de blogs écrits en SMS....<br /> [mode vieille conne élitiste off]<br /> Tiens, m'en va mettre le 5ème chapitre de Fight Club en V.O..... Sortez vos Harrap's les enfants !<br /> Et zou.... je repars dans la Roue du Temps en me demandant sérieusement si je ne serais pas une Aes Sedai qui a très mal tourné...
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