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** A M A N Y E **
4 août 2004

Entretiens entre David Cronenberg et Serge Grünberg (2)

Suite de l' entretien, tiré de mon bouquin...^^

(...)

 

SG : Quand avez vous réalisé que vous deviez expurger le film (Nouilles : eXistenZ...) de tout artefact technologique ?

DC : Dès le début, je crois bien, mais dès que j' ai commencé à tourner, c' est devenu encore plus évident. Une fois établi que la technologie serait organique, non pas à la manière Giger, mais à la mienne, j' ai alors réalisé que même lorsque nous concevions des créatures, par exemple l' intérieur des gamepods, alors que j' avais pensé, à l' origine, qu' elles comporteraient des circuits et des microprocesseurs mélangés à de la matière organique, ça n' allait pas. Ce fut donc un processus logique, ça partait de l' écriture même du scénario, car je n' avais prévu ni ordinateurs ni scènes avec des instruments high tech, tout est donc devenu un peu moche, un peu miteux. C' est alors que j' ai vu à quoi ressemblait le gamepod avec des microprocesseurs et des circuits...Il y avait aussi des insectes sur des planches de circuits intégrés, le système nerveux des insectes fonctionnant comme une partie de ces circuits; j' ai beaucoup aimé cette idée car je pense que ce serait réalisable, et d' une certaine façon, je crois qu' on l' a déjà réalisé. Mais ces idées ne rendaient pas grand chose visuellement. Sur le papier ça semblait génial, on voyait une planche de circuits intégrés et, à la place des transistors il y avait de vrais insectes, pas vivants bien sûr, avec de petits électrodes attachés à leurs pattes, à leur cerveau, et tout le reste... Intellectuellement le concept était plaisant, mais il ne fonctionnait pas au plan visuel. Et de plus ce n' était pas simple et donc pas fort. C' est alors --nous en étions à la pré- production, il est même possible que le tournage eût commencé-- que j' ai dit aux gars des effets spéciaux que je voulais un changement total de concept pour le gamepod, et que ce devait être en fait un animal, et qu' il fallait que ce soit un hybride mutant. Mais quand nous avons tourné la scène de la dissection, au lieu de voir des circuits intégrés avec des insectes, je me suis débarassé des insectes et j' ai dit que je voulais des sortes d' amphibiens et de reptiles à la place. J' ai donc réécrit le discours de Ian Holm sur le gamepod qui à la base, est un animal.

ça s' est passé alors que le tournage était bien entamé et nous avons dû modifier non pas l' aspect extérieur du gamepod mais son intérieur et lui donner une moëlle épinière, en faire un animal. Ensuite il y a eut les discussions de pré production où j' ai élaboré une liste des objets interdits : pas d' écran de télévision, pas de chaussures de sport, pas de motifs de marques sur les vêtements des acteurs. Hier, je lisais un article sur les vidéos transmises par Internet, et l' une des choses qu' ils conseillaient était de bannir les motifs compliqués sur les vêtements, parce que ça suppose plus d' informations et que c' est difficile à manipuler. En un sens, ce que j' avais pensé en termes de jeu est vrai en termes de téléchargement sur le net : il faut faire simple, car les gens n' ont pas tous de modems assez rapides. Une fois que tout le monde aura des connexions ultrarapides, on pourra aller dans le détail. Même chose avec le mouvement; le mouvement doit rester simple !

Il y a beaucoup plus de cuts et de montage dans eXistenZ que de mouvements de caméra. Et ce fut également quelque chose... ça n' a pas été une réaction intellectuelle mais simplement viscérale. Il m'a semblé que je devais certes bouger mais je ne voulais pas faire de grands mouvements de caméra frimeurs. J' ai donc privilégié le montage par rapport à la mise en scène. Il n' y a pas de radios, de téléviseurs, pas de téléphones, sauf le téléphone rose. (Nouilles : Mwarrrf le jeu de mot involontaire...) Je ne voulais pas que ce soit trop évident, mais je voulais supprimer ce que la plupart des gens considèrent comme de la technologie pour faire ressortir d' autres types de technologie : une forme de biotechnologie. Ce n' était pas dans le scénario, c' est arrivé durant la pré production et j' ai dû revoir le scénario pour vérifier, par exmple qu' il n' y avait pas de télévision dans la chambre du motel.

SG : ça donne au film un aspect très étrange. On ne sait pas exactement...

DC : ...Comment c' est fait. Par exemple, j' ai voulu que tout soit générique : le motel s' appelle "motel", le restaurant chinois "restaurant chinois", la station service "station service", tout celà fait partie du même zeitgeist.

SG : C' est une chose qu' on voit un peu dans l' art contemporain; j' ai vu les oeuvres d' une photographe qui ressemblaient beaucoup à ça...Mais une fois de plus (comme avec Adieu ma concubine et The crying Game qui sont sortis en même temps que M.Butterfly) il y a eu The Matrix quasiment en même temps qu' eXistenZ. Généralement, quand la critique a comparé les deux films, en France, c' était à votre avantage, mais je comprends que ce soit un peu frustrant. C' est un peu le côté compétitif industriel du cinéma...

DC : C' est assez étrange. Je n' avais pas entendu parler de The Matrix, je ne savais pas que ça existait. (Nouilles : J' aime ce gars !... ) Mais je savais qu' il y avait Dark City et, bien sur, Lawnmower Man...(Nouilles : Le cobaye...) en d' autres termes, mon scénario tombait dans la catégorie des films sur la réalité virtuelle mais était considéré par Hollywood comme "inadéquat", car ce n' était pas un film d' action.

SG : J' ai parlé avec le réalisateur de Dark City (Nouilles : Alex Proyas qui a aussi réalisé The Crow) , et selon lui, son film est un hommage à Cronenberg et Fritz Lang...

DC : C' est gentil !

SG : Non vraiment ! Il y avait d' ailleurs de bonnes choses dans Dark City, mais aussi de très mauvaises...

DC : Je dois dire que je l' ai quand même préféré à Matrix. Beaucoup de gens me parlaient de Matrix, c' était un film génial, les scènes de bagarre étaient fantastique... J' en avais tellement entendu parler sans l' avoir vu que lorsque je l' ai vu sur ce téléviseur en dolby...par satellite -- j' ai été très surpris : le film est mauvais, son look est atroce, c' est infantile, on a l' impression que ça avait été fait par des gosses de huit ans. (N :  J' aime ce gars ! Vraiment ! ) Et je sais que les frères Wachowski connaissent mes films et professent à mon égard une certaine admiration, je n' ai donc pas tellement envie d' en dire du mal, mais.... Au moins Bound (Nouilles : Leur premier film avant d' entamer la trilogie Ma Trique...) avait un certain intérêt visuel, ça rappelait les frères Coen à leurs débuts, une sorte de film noir très story-boardé. Mais Matrix n' a aucune cohérence visuelle, j' ai trouvé ça très ennuyeux. Si les gens souhaitent comparer des films, ils devraient le faire avec Matrix et Dark City, car ils ont une certaine ressemblance : Des choses (extra terrestres ou machines) qui créent un monde illusoire pour donner à l' humanité un bonheur qui maintient leur sujétion, il y a des points communs.

 

Je coupe là. Prochaine partie : Matrix encore, puis le point de vue aiguisé de Cronenberg (canadien) sur l' Amérique..

 

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